V. Boillat u.a. (Hrsg.): La Valeur du Travail

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Titel
La valeur du travail. Histoire et histoires des syndicats suisses


Herausgeber
Boillat, Valérie; Bernard Degen (et al.)
Erschienen
Lausanne 2006: Editions Antipodes
Anzahl Seiten
330 p.
Preis
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Halle Marianne

Le syndicalisme en Suisse a une histoire particulière, avec ses temps forts, son rythme et ses personnages propres, qui n’est pas simplement un parallèle mineur de celle des partis de gauche ou encore de celle de l’industrialisation. C’est cette histoire que «La Valeur du Travail», ouvrage collectif publié à l’occasion des 125 ans de l’Union Syndicale Suisse, sous la direction de Bernard Degen et Valérie Boillat, cherche à retracer. Destiné en priorité aux travailleurs et travailleuses désireux de connaître leur histoire, il espère en outre montrer à ceux-ci «comment le syndicat est aux côtés des salarié-e-s et comment militer au syndicat amène toujours des progrès, petits ou grands». Cet objectif clairement énoncé, ainsi que le jubilé à l’occasion duquel il a été publié, pourraient faire craindre une simple hagiographie du syndicalisme, caractéristique d’une certaine historiographie de gauche. Or, si les auteurs évitent la plupart du temps cet écueil, il est possible que cela tienne, du moins en partie, au nombre limité de succès retentissants dont le mouvement syndical a eu l’occasion de se glorifier en Suisse.

Encadrés (au début et à la fin) de témoignages de travailleurs sur leurs expériences avec les syndicats, les six chapitres qui constituent ce travail suivent un ordre chronologique., A la fin de chacun d’eux (dont le corps est toujours signé Bernard Degen) un aspect particulier de l’histoire du syndicalisme est mis en lumière, de façon diachronique, dans quelques pages dont les auteurs sont des historiens spécialistes des thèmes choisis (les femmes dans le monde du travail, les étrangers, ou encore le mouvement syndical dans sa dimension internationale en sont quelques exemples). En outre, intercalés à l’intérieur même des chapitres, de courts articles proposent une mise en exergue de certains événements (grèves importantes, etc.), personnages (Rosa Bloch-Bollag, Max Weber, etc.) ou lieux (les montagnes neuchâteloises) significatifs pour l’histoire du monde ouvrier en Suisse. On pourrait reprocher à ceux-ci, par ailleurs d’un intérêt variable, de nuire par moments à la lisibilité de l’ouvrage.

Le premier chapitre traite des premiers pas du mouvement syndical en Suisse au XIXe siècle, les premières tentatives d’organisation de la classe ouvrière, les débuts des luttes pour de meilleures conditions de travail. Il s’attache entre autres à décrire les conséquences de l’industrialisation débutante (notamment dans le secteur textile) sur les travailleurs, ainsi que l’évolution des formes corporatives d’organisation du travail, ancêtres des syndicats, puis la naissance de mutuelles d’entraide ouvrière. Dans le second, la période étudiée s’étend des années 1880 jusqu’à la veille de la Première Guerre, et s’intéresse tant aux effets de la grande vague d’industrialisation qu’au développement d’organisations ouvrières ou politiques engagées dans la lutte syndicale. On tente ici de comprendre les causes et conséquences des nombreuses grèves qui ont émaillé ces années, dont les premières grèves générales. Ce sont en effet ces tensions sociales qui ont donné naissance aux premières fédérations d’industrie. Ces deux premiers chapitres, très fouillés, sont surtout factuels. En effet, les nombreux chiffres et statistiques sur lesquels s’appuie cette première partie profitent plutôt à la description et au style énumératif, et ce, malheureusement, parfois au détriment des plans de l’analyse et de la problématique, ou simplement d’une vision plus large.

Dès le chapitre suivant, le propos s’étoffe et étudie de façon plus approfondie la période de la Première Guerre mondiale et ses conséquences, en particulier la Grève générale de 1918. L’examen de ce moment important pour l’histoire du mouvement syndical en Suisse prend en compte un spectre plus large d’éléments tant politiques que culturels et cherche à inscrire les événements dans un canevas plus général. L’un des aspects traités ici est le creusement notable des inégalités sociales pendant la guerre, dont les répercussions sur le nombre de travailleurs syndiqués furent importantes. La partie suivante porte sur les années de crise de l’entre-deux-guerres et sur la Seconde Guerre mondiale. L’auteur montre très justement les différences dans la gestion de la problématique ouvrière d’un conflit à l’autre, l’évolution parfois positive dans l’acquisition de certains droits et garanties, accalmie qui fait suite à plusieurs années fort agitées sur le plan social (grèves et manifestations) et dont la Paix du travail est souvent considérée comme un aboutissement. Malgré ces quelques avancées, l’immobilisme ou même le recul dont les syndicats ont souffert dans certains domaines n’est pas occulté.

La partie qui traite des «Trente glorieuses» et de la Guerre froide donne surtout à voir le déclin du mouvement syndical. Ce dernier a en effet passablement pâti de la prospérité générale de ces années dans le pays, qui a contribué à rendre le monde ouvrier moins combattif et moins impliqué dans les luttes menées en leur nom par les organisations de travailleurs. Le fameux «modèle helvétique» né de la Paix du travail, qui favorise les conventions collectives plutôt que les âpres luttes, ainsi que le soupçon pesant sur le mouvement en raison de l’anticommunisme ambiant sont d’autres facteurs qui ont contribué à son affaiblissement. Néanmoins, ce déclin du syndicalisme «pur» n’a pas empêché l’obtention, par exemple, de réductions du temps de travail ou d’une meilleure protection des consommateurs, ni le développement de l’Etat social en Suisse, avec la mise en oeuvre de l’AVS/AI ou l’introduction du deuxième pilier. Par ailleurs, certains aspects tels que la présence et l’intégration de travailleurs venus de l’étranger prennent alors une place bien plus importante que par le passé, et mettent les syndicats dans une position parfois délicate.

Enfin, la dernière époque examinée dans l’ouvrage, du dernier quart du XXe siècle à nos jours, cherche à montrer l’évolution des syndicats face à une économie en constante mutation, un marché du travail de plus en plus segmenté et précaire. De nouvelles orientations et des stratégies novatrices (par exemple l’utilisation accrue des armes démocratiques que sont l’initiative et le référendum) sont de venues nécessaires, mais ouvrent également sur d’autres perspectives. Les nombreuses fusions de syndicats, autrefois très sectoriels et locaux, reflètent ces transformations. Notons enfin que, tout au long de l’ouvrage, la place des femmes dans l’histoire du mouvement syndical fait l’objet d’une attention particulière.

L’un des intérêts que présente cet ouvrage, comme le souligne à juste titre l’introduction, est d’offrir enfin aux lecteurs une synthèse des travaux de Bernard Degen en français. Ce spécialiste de l’histoire ouvrière et sociale helvétique avait déjà beaucoup publié en allemand, mais les Romands ont ici l’occasion de découvrir un aspect de ses travaux dans la langue de Molière. Précisons d’emblée que cette étude se concentre spécifiquement sur le côté syndical de l’histoire ouvrière et sociale, les élargissements sur le plan politique, sur la gauche en Suisse, ou plus généralement de l’histoire du mouvement ouvrier restant limités. Néanmoins, à la lecture de cet ouvrage se dégage, bien qu’en filigrane, une «autre histoire» de la Suisse, à travers celle des ses classes les plus défavorisées: les liens faits avec la problématique des femmes ou des immigrés sont dans ce sens particulièrement pertinents.

Citation:
Marianne Halle: Compte rendu de: Valérie Boillat, Bernard Degen (et al.): La Valeur du Travail. Histoire et histoires des syndicats suisses. Lausanne, Antipodes, 2006. Première publication dans: Revue suisse d’histoire, Vol. 57 Nr. 4, 2007, pages 486-488.

Redaktion
Veröffentlicht am
24.02.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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